Specifiers and artists, ou l'importance de la communication verbale
Specifiers and artists est vraiment la Rolls Royce des jeux agiles. Ce jeu est utilisé dans la plupart des formations et des sessions de découverte de l'agilité. Ce jeu adresse en effet plusieurs aspects de l'agilité, comme notamment l'importance de la communication verbale par rapport à la communication écrite, mais également l'importance de décomposer le travail en plusieurs unités plus petites, ainsi que le concept d'amélioration continue et de boucles de feedback.
Quelques éléments de contexte
Specifiers and artists, ou The Draw the Drawing Game, son nom original, est un jeu agile inventé par Alistair Cockburn à la fin des années 90.
Alistair Cockburn est, entre autres, l'un des 17 signataires de l'Agile manifesto.
Comme il le décrit lui-même dans l'article qu'il consacre à ce jeu sur son blog, il le tient lui-même d'un autre auteur, Larry Constantine, qui avait créé en 1992-1993 un jeu pour illustrer un concept lié à la communication.
Cockburn reprend le jeu de Larry Constantine, et le transforme en un jeu en trois rounds, jouant ainsi trois fois le jeu original. Ces trois rounds sont ainsi conçus de manière à montrer une amélioration progressive des résultats des participants, les invitant de la sorte à adopter la pratique numéro 3 plutôt que de rester sur la pratique numéro 1.
Ces trois pratiques, quelles sont-elles ?
La description du jeu
Avant de parler du résultat des trois rounds de jeu, et donc des pratiques qu'elles illustrent, commençons par le commencement.
Specifiers and artists est un jeu qui se joue généralement en équipes de 6-7 personnes.
Note : Si vous êtes moins de 12 (2 équipes) mais plus de 8-9, il peut être intéressant de désigner des observateurs qui contribueront explicitement au debriefing.
Les participants sont séparés en deux groupes : celui des "spécifieurs" et celui des "artistes". À partir d'un modèle (tenu secret pour les artistes), les spécifieurs doivent donner aux artistes les instructions nécessaires à la reproduction dudit modèle.
Les instructions de départ précisent la relation entre les spécifieurs et les artistes : ils ne doivent pas être dans la même pièce, ne doivent communiquer que par écrit et transmettre leurs messages au moyen d'un messager issu du groupe des spécifieurs.
Du point de vue du timing, les participants ont 10 minutes pour reproduire ensemble le modèle. Au terme de ces 10 minutes, ils auront 5 minutes pour réfléchir à des idées d'amélioration, et encore 10-15 minutes pour mettre en commun leurs propositions et aboutir à un plan d'action pour le prochain round.
Le déroulement d'une partie
Voici le déroulé d'une partie du point de vue des pratiques induites par les règles du jeu.
Round 1
La première pratique, à laquelle est consacré le round 1, est celle qui consiste à produire une spécification écrite qui sera ensuite implémentée - une sorte de système waterfall.
Et généralement les 10 minutes sont bien trop courtes pour arriver à un résultat : le temps de spécification est bien trop long et le temps de réalisation est bien trop court, ne laissant même pas la place pour échanger des questions-réponses.
Bien entendu, ce résultat génère beaucoup de frustration chez les participants.
Round 2
Compte tenu des contraintes liées à la communication entre les spécifieurs et les artistes, le temps dédié à l'amélioration continue entre le round 1 et le round 2 aboutit généralement à un découpage plus fin des spécifications (et donc des spécifications plus courtes données aux artistes de manière plus fréquente), et par un accroissement du travail du messager qui fait la navette silencieuse entre les deux groupes.
La seconde pratique généralement observée au round 2 est donc la mise en place d'une production incrémentale de la reproduction du modèle. La frustration est moindre car le travail de reproduction est à peu près fonctionnel.
Round 3
Les consignes de jeu changent au round 3. En effet, pour accélérer la prise de conscience, on peut orienter l'expérimentation d'une nouvelle pratique par la modification des règles.
Du coup, les consignes de jeu sont :
- le modèle reste à distance des artistes
- il n'y a plus qu'un spécifieur
- spécifieurs et artistes peuvent se parler directement
- le spécifieur ne peut pas faire de gestes pour "montrer" ce qui doit être dessiné
Cependant, pour que l'exercice ne soit pas trop banal, le niveau de complexité du modèle est grandement relevé, reflétant ainsi la complexité de se comprendre lorsqu'il est question de besoins métiers complèxes.
Ce troisième round permet donc aux participants d'expérimenter une troisième pratique, celle d'une communication verbale directe, autorisant un comportement collaboratif.
Pistes de debriefing
Communication écrite vs. communication orale, amélioration continue, travail incrémental, atomisation de l'expression des besoins... Les sujets du débriefing sont nombreux avec ce jeu ! Il est donc important d'adapter son debriefing à l'intention que l'on avait lorsque l'on a programmé le jeu, mais il faut également veiller à l'adapter au contexte des participants.
Pour une équipe Scrum qui débute, on mettra en avant la notion d'itérations timeboxées. Pour cette population, il est également important de mettre en avant le principe d'amélioration continue, avec les temps d'introspection, ou de rétrospective.
Si l'on s'adresse à des personnes en charge de produire les spécifications des besoins dans la vraie vie, on mettra en avant l'importance de la communication orale, par opposition à la communication exclusivement écrite que représente un cahier des charges, mais également la nécessité d'aller vers la spécification de petits périmètres de besoins (c'est ce que j'appelle atomisation de l'expression des besoins) au travers notamment du format des User Stories.
Conclusion
Specifiers and artists est un jeu qui, par le spectre des sujets qu'il aborde - communication écrite vs. communication orale, amélioration continue, travail incrémental, atomisation de l'expression des besoins - est une activité idéale pour expliquer Scrum dans un contexte de transition agile.
Il s'adresse à la fois aux développeurs et aux gens du métier et pose les jalons pour la mise en place rapide de la méthode Scrum auprès de ces mêmes publics.
Je l'ai facilité de nombreuses fois dans ce contexte, et les effets sur les participants n'ont jamais démérité : ce jeu est une bonne métaphore pour préparer à l'arrivée de Scrum dans les organisations.