Sites médias : 70% de l'empreinte carbone vient des pubs et des stats

Clément Le BiezFrançois Zaninotto
#performance#sustainability#greenframe

Quel est le poids environnemental d'une visite sur la page d'accueil d'un site média ? Quelle est la part de la publicité, et des scripts de statistique, dans cette empreinte ? Nous avons tenté de répondre à cette question en utilisant GreenFrame, le service que nous avons développé pour mesurer l'empreinte de nos propres développements.

Le constat est édifiant : jusqu'à 70% de la consommation électrique (et donc du carbone) émis par une visite sur un site média français provient de la pub et des stats. Utiliser un bloqueur de pub devient donc un geste écologique. Nous proposons par ailleurs des pistes pour que les éditeurs réduisent cet impact.

lequipe.fr

La publicité et les trackers augmentent l'empreinte carbone

Les bloqueurs de scripts sont de plus en plus utilisés et parfois même directement intégrés dans les navigateurs. Plébiscités par les internautes, ces outils (AdBlock, Ghostery, uBlock) permettent de naviguer sereinement sur la plupart des sites sans avoir à subir tout un tas de publicités ou encore d'être suivis à la trace.

Ils améliorent également la performance perçue par les utilisateurs. En chargeant moins de contenu et en exécutant moins de scripts, les pages s'affichent plus rapidement.

Si un site sans publicité s'affiche plus rapidement, il doit également dépenser moins d'énergie et donc émettre moins de gaz à effet de serre. En tout cas, c'est ce que l'on imagine intuitivement.

Nous avons décidé de tester cette hypothèse.

Mesurer l'empreinte carbone avec et sans bloqueur de pub

Depuis 18 mois, nous développons GreenFrame, un service en ligne innovant permettant de mesurer la consommation d'une application web afin d'en estimer l'empreinte carbone. Il nous permet également de dresser une liste de bonnes pratiques pour le développement de sites plus responsables.

Nous nous sommes penchés sur les sites de médias français les plus visités (source: acpm.fr). Ce panel de sites contient des médias généraux, sportifs ou encore spécialisés people :

  • programme-tv.net
  • bfmtv.com
  • lemonde.fr
  • lequipe.fr
  • 20minutes.fr
  • leparisien.fr
  • actu.fr
  • voici.fr

Note: L'absence du site lefigaro.fr, qui est pourtant le premier site média français en terme de trafic, n'est pas fortuite. Nous l'expliquons un peu plus loin dans l'article.

Ces sites proposent généralement beaucoup de publicités afin de rentabiliser le travail rédactionnel. Ils intègrent également plusieurs outils de suivi analytique dans le but de comprendre leur audience et d'optimiser le placement publicitaire. Certains de ces sites proposent un abonnement, d'autres sont complètement gratuits.

Pour analyser ces 9 sites, nous avons fait tourner GreenFrame avec le même scénario. Il consiste en une visite de la page d'accueil en mode desktop. GreenFrame charge tout le contenu, en défilant jusqu'en bas de la page. Puis l'automate clique sur le premier article "en une" et on charge également tout son contenu.

comparaison Greenframe

Ce scénario est exécuté 3 fois:

  • Avec toutes les publicités et tous les outils de tracking
  • Sans publicité mais avec le tracking
  • Sans publicité ni tracking

Nous n'avons pas accès au serveur de ces services. GreenFrame se contente donc, pour cette analyse, de mesurer l'empreinte carbone du navigateur et du réseau (même s'il est capable de faire une analyse full-stack). L'empreinte mesurée sera donc sous-évaluée.

Disclaimer: Marmelab a travaillé avec LeMonde.fr sur un chantier de réduction de leur impact carbone. Les résultats affichés ici proviennent de mesures antérieures aux optimisations mises en place.

Les absents

Dans nos tests initiaux, nous avions inclus lefigaro.fr et franceinfo.fr, qui sont tous les deux dans le top 10. Mais l'analyse de ces sites a mené à des résultats étranges, qui nous ont amenés à les sortir de notre panel.

Le site du Figaro : sur ce site, les analyses automatisées ne montrent aucune publicité, alors qu'il y en a bien normalement. De plus, selon le poste de travail et/ou le navigateur utilisé le site choisit d'inclure ou pas de la publicité. Le système d'Ad Serving du Figaro semble se baser sur des critères que nous ne comprenons pas, et qui découlent sur l'impossibilité de faire un test avec des publicités.

Le site de France Info a une consommation énorme, même sans publicité.. En creusant un peu plus, nous avons découvert que leur système de lazy loading (chargement des images lorsque l'utilisateur scrolle) était mal implémenté. Conséquence, le site franceinfo.fr charge 2 à 3 fois la même image, et consomme une bande passante considérable. Nous avons d'ailleurs prévenu France Info de ce problème.

Ces deux résultats sont dont masqués dans la suite de cet article.

Analyse des résultats

Voici les résultats. Les données affichées sont par visite :

resultat globaux

On constate globalement la même chose : l'empreinte carbone d'un site web diminue s'il n'y a pas de publicité ni de traqueurs sur un site. La différence est très importante : entre 32% et 70% de l'énergie consommée par le navigateur et le réseau est dûe à la monétisation.

La précision de ces mesures est mauvaise (+/-5%), en raison de l'impact des publicités qui varie selon les campagnes, et des Ad Exchanges dont les scripts varient en temps réel. Par ailleurs, la précision des analyses GreenFrame tourne en général autour de +/-1%, donc il ne permet pas de détecter des variations très fines des émissions.

Impact de la publicité

Résultats sans publicités

Enlever la publicité sur un site diminue la consommation client et réseau de 21% à 55%. En moyenne, l'utilisation d'un Ad Blocker permet une réduction de 37% des émissions.

Une publicité est généralement composé d'un fichier JavaScript que l'on va inclure dans la page. Ce fichier va ensuite créer des éléments HTML dans le DOM, récupérer du contenu (images, vidéos, textes) et les afficher dans les emplacements prévus à cet effet. Le script, entre autre, s'assurera que la publicité est bien visible pour l'utilisateur.

Globalement, les publicités engendrent une sollicitation supplémentaire du réseau et du processeur. Son empreinte carbone dépend énormément du contenu affiché. En effet si le contenu contient des vidéos qui se lancent automatiquement, il sera hautement plus consommateur que de simples images.

Certains services proposent également un système de contenu sponsorisé. C'est le cas lorsque vous voyez la mention "Contenu sponsorisé par".

Par exemple, sur le site de BFMTV :

Exemple de contenu sponsorisé

Dans cette série d'analyse, notre bloqueur n'a pas forcément bloqué ce type d'encart car c'est un contenu qui est placé de sorte à ne pas perturber la lecture de l'utilisateur. Il est donc toléré par certains bloqueurs.

Impact des traqueurs

Un traqueur est, une fois de plus, un script JavaScript que l'éditeur inclut dans ses pages qui est chargé et exécuté par les visiteurs.

Ce script va générer des écoutes (évènement JavaScript) sur les différentes actions des utilisateurs (un clic, un changement de page, le déplacement de la souris) et va envoyer tout ceci à un service externe via un appel HTTP.

Là encore, on note une sollicitation du CPU pour exécuter ce code. Le réseau est également impacté pour envoyer les données d'usages.

Sans traqueurs

Le coût des traqueurs seuls s'étale dans notre étude de 3% à 25% du coût total. En moyenne, les traqueurs représentent près de 15% de la consommation d'énergie des pages médias.

Un coût écologique non négligeable

Le but de cet article n'est pas de taper sur les doigts des sites médias, mais de mettre en lumière la consommation excessive que les scripts tiers engendrent.

Les sites analysés génèrent entre 70 à 130 millions de visite par mois, et leur travail a donc un réel impact sur l'environnement.

Réduire la consommation d'un de ces sites de seulement 10% (20mWh), par visite pour un site à 100 millions de visiteurs mensuels revient à économiser 24 000 kWh par an.

En tenant compte de l'intensité carbone de l'électricité consommé en France (80 gCo2eq/kWh) (source: Electricity Map), cela revient à économiser 1,9 tonnes de Co2 par an, soit la quantité annuelle de Co2 absorbé par 60 arbres matures.

Réduire l'empreinte des sites médias en réduisant les tags

Sur de nombreux sites testés, le nombre de scripts tiers est très important. Une visite sur le site programme-tv.net (groupe Prisma) donne lieu au chargement de plus de 100 scripts tiers (après acceptation des cookies). Les navigateurs ne pouvant faire autant d'appels en même temps, ils exécutent les scripts par groupe de 5, ce qui ralentit les pages.

Trackers site programme-tv

Quelques conseils pour réduire l'empreinte des sites médias découlent de cette analyse :

  • Grouper les scripts tiers, en utilisant un outil comme Segment, ou son équivalent open-source SnowPlow permet de réduire le temps de chargement et d'exécution des tags.
  • Exécuter les scripts tiers dans un WebWorker, grâce à un outil comme Partytown, peut éviter les blocages de l'interface utilisateurs sans sacrifier de scripts tiers.
  • Effectuer des statistiques server-side permet d'économiser des tags. Le ciblage est moins fin, mais suffit parfois pour piloter une stratégie d'éditeur basique. De nombreux services d'analytics server-side se sont développés depuis l'avènement du RGPD. Citons-en un, qui est celui que nous utilisons sur le site de Marmelab : Umami.
  • Choisir les services tiers en fonction de leur impact. Le poids d'un script tiers peut être excessif au regard du service rendu. En mesurant l'impact sur la performance de chaque script tiers (par exemple en utilisant le profiler du navigateur), les développeurs peuvent bannir ceux dont le rapport bénéfice/coût n'est pas suffisant.

Réduire l'empreinte des sites médias en réduisant la publicité

L'empreinte carbone d'un site ne vient pas que du code et n'est pas uniquement la responsabilité des développeurs. En fait, les réductions les plus spectaculaires des émissions ne viendront pas d'un changement dans le code, mais dans la stratégie d'affichage des publicités.

L'utilisation grandissante des publicités a permis aux sites gratuits de rentabiliser leur contenu. Pour beaucoup, ils ne peuvent pas se passer de cette source de revenu. Mais ils peuvent chercher des alternatives plus sobres :

  • Eviter les formats publicitaires vidéo car ce sont les plus gourmands en énergie. Les sites média peuvent paramétrer le type de campagne qu'ils acceptent et refuser les contenus promotionnels vidéos. Et si vous devez accepter les formats vidéos, refusez quand même les vidéos en lecture automatique.
  • Proposer une formule sans pub sur abonnement. L'abonnement est plutôt sain pour l'environnement. En augmentant le revenu par visiteur, il permet de réduire le nombre d'utilisateurs et donc de trackers nécessaires à leur suivi. Par ailleurs, les éditeurs connaissent bien leurs abonnés sans avoir besoin de les profiler au travers de services tiers.
  • Imposer une empreinte maximum aux annonceurs, car si les éditeurs ne protestent pas, les annonceurs ne sauront jamais que leurs campagnes représentent un trop large proportion des émissions carbone.
  • Intégrer la publicité au contenu : Le contenu "sponsorisé" ne nécessite pas de script tiers. Souvent rédigé par le site qui est rémunéré par un annonceur, il est une source de revenus non couteuse pour l'environnement. Comme ici sur le site de 20 minutes :

Bon plan sur 20 minutes

Le contenu sponsorisé prend généralement la forme de "bon plan" afin de mettre en lumière des réductions sur un produit ou sur un site. L'article semble provenir de la rédaction et contient un lien d'affiliation, c'est à dire un lien qui permettra d'enregistrer d'ou provient la visite.

Il est fort probable que cet article soit rémunéré par rapport au nombre de clic sur ce lien ou au nombre de ventes réalisés grâce à ce lien.

Certains sites mettent en lumière le fait que cet article ne proviennent pas de leur rédaction, mais pas tous !

Bon plan sur 20 minutes encart rédaction

L'avantage d'un tel système est que le contenu n'utilise vraisemblablement pas de script tiers, on économise ainsi le coût que génère le code ajouté à la page.

Conclusion

La réduction des émissions de gaz à effet de serre est l'affaire de tous. Les consommateurs finaux n'ont pas conscience de l'impact de leurs actions sur l'environnement, il revient donc aux éditeurs de mesurer, réduire et afficher leur empreinte carbone.

L'impact du numérique, n'est pas à prendre à la légère : il représente aujourd'hui 4% des émissions globales de gaz à effet de serre, et augmente de 8% chaque année.

GreenFrame permet de mettre en évidence les effets pervers de certains modèles économiques sur Internet et de la course aux traqueurs. C'est également un outil pour les éditeurs numériques, qui leur permet de tester leurs efforts de réduction d'émissions de façon objective, et de valider des nouvelles orientations. Car, en l'absence de mesures de la part des éditeurs, les utilisateurs conscients de leur impact écologique auront recours de plus en plus massivement aux AdBlockers, avec des conséquences directes sur les revenus des éditeurs.

Vous pouvez tester gratuitement GreenFrame pendant 1 mois, sans CB : GreenFrame.io. Si vous êtes convaincus, passez à GreenFrame Enterprise et ajoutez la mesure des émissions carbone à votre intégration continue.

Chez Marmelab, nous sommes convaincus que cet effort de réduction des émissions est primordial et doit commencer au plus tôt. Editeurs de sites médias, et si vous preniez en compte votre poids écologique ?

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